30 juin 2017

et qu’est-ce donc qu’un fleuve […]
un désir immense qui risque sa peau

(Pierre Perrault, Le visage humain d’un fleuve sans estuaire)

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Quand le fleuve de pensées m’assaille toute la nuit, cherche à hydrater chacun de mes pores, je le laisse parfois faire, portée par ses courants plutôt que par les vents de sable. Même si je connais le danger de noyade pour m’y être déjà frottée (et cognée), j’aime bien la vision nouvelle que j’acquiers dans l’obscurité, celle qui permet le recul pour mieux avancer, les yeux frottés de sel et le cœur courbaturé, lorsque j’émerge le lendemain.

Après tout, c’est le désir immense des journées qui est venu me rendre visite. Et l’espoir qu’il y aura de l’eau au matin. Chaude. Comme la couverture de la nuit.

29 juin 2017

Si tu préfères le vin blond
à la grappe hâlée,
tu feras chaque saison
la vendange de tes souvenirs.
Et tu boiras sans hâte.

(Claude Cahun)

 

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Les saveurs sont des clés à souvenirs : ainsi la pêche en conserve dans la Malvazija déverrouille tour à tour la collation au comptoir chez grand-maman et la sortie au cinéma entre sœurs extra jus et jujubes. Et leur absence fait de même : le trop mince filet d’eau qui s’égoutte du robinet ce matin me ramène à ces deux mains enserrant ma bouteille dans l’évier, vite avant la traditionnelle coupe de minuit…

La réponse se trouve dans le texte même menant à la question. Vendange sans hâte, festina lente, požuri polako… Faire durer le souvenir comme l’alcool du vin reste dans l’organisme et ses notes, dans le cahier de dégustations. Faire durer le souvenir en l’enveloppant de mes mains chaudes, chérissant la fine distance cassante sous mes paumes.

28 juin 2017

les ailes reculées au sternum
ton image s’agrandit
une roche à la seconde

(Annie Lafleur, Bec-de-lièvre)

 

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Les cicatrices rougissent quand on pose les doigts dessus et qu’on avance, qu’on recule, qu’on les décolle doucement de leur confort. Comme le ciel, la peau vit ses cycles de couleurs, passe du rouge au blanc au rose au rouge, au blanc.

Les mains en étoiles sur le sternum, je me demande : quelle image de moi suis-je en train d’agrandir? Quels os, quelle eau suis-je en train de décalcifier seconde par seconde, malo po malo?

J’ai versé du lait dans mon thé rouge; il a viré au blanc.

27 juin 2017

cueillir quinze constellations pour les thés d’hiver / cueillir six mois de conversations et moudre chaque jour en farine / mille moyens pour se garder lumineuses et terroristes au sein des villes

(toino dumas, animalumière)

 

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Dormir dix heures bercée par les vapeurs de l’été. Cueillir les mirages sur l’asphalte, l’espièglerie des chatons errants, la bouteille d’eau sur le tepih, et en faire des rêves où les visages ne sont pas les mêmes que ceux du jour : les yeux écarquillés pour tout capter de la nuit, des reflets jaune orangé sur la peau, des constellations de cannelle sur les lèvres.

La nuit est gratuite, comme l’est la beauté. Mon terrorisme du jour? Saupoudrer de la lumière aux yeux du monde. Parce que même si le soleil fait fondre le bitume, nous, humain.e.s, ne sommes jamais assez liquides.

26 juin 2017

je dis passer vrai me renverse
non pleurer

(renée gagnon, des fois que je tombe)

 

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Passer vrai. Dire ma vérité, celle de mes projets, envies et désirs, même si on lève un sourcil à mes mots. Ne faire que passer, c’est toujours faire quelque chose : mettre la main au paysage, donner et recevoir, renverser et être renversé.e, le temps que ça dure. Et on ne connait pas le temps. On le met dans des boites en forme de billets d’avion aller-retour pour se rassurer qu’un jour, on aura un pied à terre, si l’autre tient en l’air.

Passer implique partir, implique rester. Implique pleurer de peur, de perte de contrôle, de solitude.

Heureusement que passer, c’est aussi manger des cerises sur le balcon et apprivoiser les mots de l’autre, un noyau dans la bouche.

25 juin 2017

And my heart heart heart is so jet lagged

(Simple Plan et Marie-Mai, « Jet Lag »)

 

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De la même façon que je ne suis pas la même dans mes différentes langues, mon cœur n’a pas les mêmes intonations dans mes différents chez-moi. Ici il y a juste assez d’altitude, de chaleur et de décalage horaire pour que je ne reconnaisse plus mon rythme. Tout est à faire, ou plutôt à défaire, comme les nœuds dans mes cheveux : ma vitesse, ma pression, ma culpabilité.

Donne-toi du temps, qu’on me répète. Je ne manquerai jamais d’heures pour apprendre, ni d’apprentissages à faire.

En fait, du temps, il y en a toujours juste assez.

24 juin 2017

la peur du possible et de toutes ces choses que je ne ferai jamais
si je ne retrouve pas
l’autre nord

(Marie-Andrée Gill)

 

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La peur que les choses se passent, la peur que les choses ne se passent pas : dans les deux cas, il s’agit d’une peur des résultats – puisqu’il y en aura peu importe, m’a sagement rappelé M. hier soir. Moi qui cherchais mon autre est, ai-je besoin que mes visions se concrétisent telles quelles pour me prouver que je l’ai trouvé, ou puis-je me fier à mes battements chamadiques qui s’accordent aux cloches de l’église Saint-Joseph (sv. Josipa)?

Suivre sans relâche la rivière Miljacka, les cycles de la lune et du soleil, les cloches battantes, c’est enregistrer le flux des certitudes pour pouvoir le réécouter la nuit, dans mon lit, quand l’orage réveille les inquiétudes.

23 juin 2017

I like the in-betweens
I like the time it takes
to get somewhere

(@bioluminess, tumblr)

 

(Trad.:

J’aime les entre-deux
j’aime le temps que ça prend
pour arriver quelque part)

 

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Je me trouve en ce moment entre deux domiciles, entre deux emplois, entre deux réalités extérieures, mais aussi intérieures : les apprentissages ne sont-ils pas tous des entre-deux, perpétuels en plus? Vaut mieux les apprécier, dans ce cas.

Je ne vois peut-être pas que mon train avance, mais il le fait subrepticement, à travers les battements de mon cœur et de mes membres, et il me mène du silence buté à la parole dosée, du perfectionnisme au progressisme, de la culpabilité à la responsabilité.

Comme lors de tout voyage, j’ai hâte d’arriver pour me poser. Mais pas trop, quand même.

22 juin 2017

Car l’amour ce n’est pas quelque chose, c’est quelque part

(Réjean Ducharme, Le Nez qui voque; repris par Patrice Michaud dans « Kamikaze »)

 

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Je ne voulais pas écrire sur l’amour ce matin, mais le voilà qui me retrouve à travers mon jeu de cartes.

Oui, l’amour est quelque part, mais pas dans un lieu idéalisé ni dans un temps (passé, futur) romancé. Il est partout où je vais, oui, parce qu’il est là, code morse épelé par mon cœur encore en décalage : point tiret, point point, tiret tiret, point. (Point.)

Quand notre nom raconte l’amour même, on n’a pas d’autre choix que de l’incarner.

21 juin 2017

Ce soir
Le monde est vieux
Et je m’ennuie

(Anne Hébert)

 

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L’ennui/l’envie. N’est-ce pas que ces deux mots marchent main dans la main, d’un pas soit lent et laborieux, le menton penché vers des ruminations, soit rigide et anxieux, à la recherche du toujours neuf, toujours jeune, toujours excitant?

Parce qu’il y a l’envie, il y a forcément l’ennui qui vient frapper à la porte, voire percer dans le mur à côté de sa chambre et couper l’eau chaude en plus. Et avec l’ennui vient l’envie d’être ailleurs (même tout en restant ici), d’être surprise par la vie, d’attirer quelque chose, peu importe quoi – oui, l’envie peut être désespérée.

Je suis lucide, et je choisis de vivre tout.