31 juillet 2017

I like the in-betweens
I like the time it takes
to get somewhere

(@bioluminess, tumblr)

 

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Les cloches du matin m’indiquent que je ne suis pas seule à me lever si tôt. Je prends leur tintement comme un baume à l’eau de rose, un appel à ne pas m’oublier, à ne pas oublier que je vais quelque part.

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Je suis déjà quelque part : dans un entre-deux. Dès que je passe les contrôles de sécurité, je me transforme, je redeviens celle que je suis quand je suis seule (avec vous). Je me trouve déjà à destination sans le savoir : je me trouve. Et j’aimerais que ça ne s’arrête jamais, qu’arriver, comme voyager, ne devienne plus possible qu’à l’imperfectif.

30 juillet 2017

D’où sont venues ces pensées ?
Quel livre, quelle page ?
Pourquoi avoir souligné ce passage ?
Avec qui ? Jusqu’à ne plus respirer.

(Nicole Brossard, Lumière fragments d’envers)

 

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Chaque matin, écrire à partir des mots de quelqu’un.e d’autre, de mots que j’ai choisis alors que j’étais aussi, souvent, quelqu’une d’autre. Et le vertige me prend : il y a beaucoup de pensées, beaucoup de passé, dans le présent et dans le futur proche de ma journée.

Jusqu’à ne plus respirer : je ne sais plus quand ça arrivera, car je prends désormais de grandes bouffées d’air sur le toit de la ville, assise sur un muret de pierre, dans les bras des montagnes. Mon passé n’est plus concerné par ne plus respirer. Et je suis la somme de mon passé, étreint doucement.

 

 

29 juillet 2017

Une nature morte vibre entre le cœur et le poignet.

(Denise Desautels, « NUITS », Françoise Stéréo)

 

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Chaque jour j’ajoute une touche à mon pejzaž intérieur, je dessine des volutes florales sur l’envers de ma peau, tetovaža du monde qui a réussi à s’introduire par le bout de mes doigts. Et comme c’est dans sa nature de le faire, mon tatouage-paysage fane, sèche, embaume.

Entre le cœur et le poignet, j’ai la manche d’une dure à cuire, un canal le long duquel courent des bouteilles de plastique vides ou à message, des canards qui m’avertissent que le thé est prêt, et des feuilles dans tous leurs états.

Tu serres fort, que tu m’as dit. C’est parce que je veux couler avec le courant, pas dessous.

28 juillet 2017

Les avions sont-ils faits pour rentrer ou s’en aller?

(Mélodie Vachon Boucher)

 

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J’aime qu’ici on me demande comment je me sens d’aller (da ideš) au Canada, et non de rentrer au Canada. C’est la langue qui veut ça, je crois, puisqu’on va à la maison comme on en part pour prendre un verre; je veux ça aussi, une étiquette de moins sur mes allées et venues, et pouvoir continuer de dire vratit ću se, je vais revenir.

Et quand je veux sortir ma tête de toutes ces langues, je lève les yeux au ciel. Entre le câblage des tramways se profilent des nuages, et certains, prenant la forme d’un trait de crayon contrastant, me donnent à voir la réponse : les avions sont faits pour continuer.

 

27 juillet 2017

Ce soir
Le monde est vieux
Et je m’ennuie

(Anne Hébert)

 

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Le monde m’envoie toujours les mêmes messages, et je m’ennuie. Peut-être le fait-il parce que je pose toujours les mêmes questions, et que ce que je vois du monde est le reflet de mon cœur à ciel ouvert?

Mes questions ont mal vieilli au lieu de murir. De puériles, elles sont passées à adolescentes, puis n’ont plus changé de rengaine alors que leur peau commençait à s’affaler, que leurs yeux distinguaient moins bien les contours, que leurs mains les trahissaient. Mes questions portent un t-shirt de Nirvana sur un chandail à manches longues, et les trous sont originaux.

Aujourd’hui, que mes questions prennent le recul des rivières, et que les tissus humains ne les enferment plus.

26 juillet 2017

[…] toucher terre un matin où la tasse se réchauffe, liqueur pleine de murmures, saveur en volutes, sans un mot – de langue universelle, je suppose.

(Charles Sagalane, « Feng Huang Gou Tou », 47Atelier des saveurs)

 

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Ma tasse est pleine de thé noir (Mi Xiang Hong Cha), de langues plus si étrangères, de discussions riches même là où les mots manquent. Il fait plus frais depuis hier, et nos saveurs individuelles créent des volutes sous la pluie – est-ce ainsi que se forment les arcs-en-ciel?

Parfois j’aimerais toucher terre ou toucher matelas, une journée ou deux, le temps de regarder l’infusion se faire, de sentir les vents de changements. Mais alors je me rappelle que j’aime aussi être portée; et que je les observe ou non, les couleurs foncent et les textures s’épaississent. Alors dans ma bouche entre un gout de langue universelle, comme un baiser attendu, sans un mot.

25 juillet 2017

And my heart heart heart is so jet lagged

(Simple Plan et Marie-Mai, « Jet Lag »)

 

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Je disais hier que mon cœur est toujours en avance. Il est toujours en retard aussi, un pas derrière un pas devant, centre vital dans l’équilibre à renouveler des grandes enjambées. Ainsi le rythme du cœur est celui de la marche, et pas celui de la course ou du tramway. Ainsi les coups de cœur s’étirent et résonnent longtemps dans les os, comme le son des cloches de l’église s’éternise contre le béton de mon édifice.

Le mouvement s’est accéléré autour de moi, et même si je suis, happée, ma cage thoracique bat toujours à la même fréquence, celle du fuseau horaire qu’elle a choisi de préserver. Et je me demande alors si la vie se trouve à l’extérieur ou à l’intérieur.

 

24 juillet 2017

I like the in-betweens
I like the time it takes
to get somewhere

(@bioluminess, tumblr)

 

(Trad.:

J’aime les entre-deux
j’aime le temps que ça prend
pour arriver quelque part)

 

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Pour arriver quelque part, vraiment arriver, ça prend du temps. C’est mon quatrième séjour à Sarajevo, et bien que chacun d’entre eux ait été plus long que le précédent, je ne me sens pas encore complètement arrivée. Bien sûr, comme toujours mon cœur a été le plus rapide. Il a tout de suite donné la mesure : il fallait me rendre, encore et encore, dans cet espace qui me tiendrait lieu de nouvel entre-deux après le Japon. Entre deux (ou trois) langues, entre deux moi, entre deux vies, même.

Et si je ne prends pas le temps d’aimer les interstices, les roses ciel de balcon, les verts thé du matin et les rouges écharpe mongole, si je n’apprécie pas leurs couleurs en prisme au soleil, je n’arriverai pas, je n’arriverai jamais nulle part au fond de moi.

23 juillet 2017

reste nuit
nuit, reste
je pars

(renée gagnon, des fois que je tombe)

 

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Je pars bientôt. Dans une semaine, pour mieux revenir… partout, ici comme là-bas. La nuit reste, mais j’emporte la lune avec moi, croissant de beauté qui me rappelle que je suis toujours à ma place dessous, ou collée contre lui. Je l’emporte pour l’accrocher sur tous les murs qui entoureront mon sommeil, veilleuse clignotante mais régulière, comme un autre cœur qui bat.

Je pars avec tout ce qui est beau; le laid, le troué, le pus mettable, je le laisse derrière, sur une autre terre où j’espère avoir aussi semé quelques graines de fleurs. La lune le dira… et l’avenir portera conseil.

22 juillet 2017

C’est là, dans l’étreinte de la forêt vierge, qu’il souhaitait vivre à jamais. Il avait atteint l’endroit où toute sa réalité encore non vécue l’attendait.

« Ça ne me fait pas peur »

(Hella S. Haasse, Les seigneurs du thé)

 

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J’ai atteint cet endroit. En fait j’ai les deux pieds imprimés dans le béton de ma forêt vierge, près de sa lisière – de sortie ou d’entrée? Parfois, ce qui demande le plus d’énergie n’est pas d’aller loin, mais de faire demi-tour. Lorsque je trouve comment m’élever un peu de terre pour que mes sandales ne touchent qu’à la couche supérieure du ciment ou de l’asphalte, celle qui reste molle malgré tout, j’arrive à pivoter malléablement.

Et alors je vois, dans toute sa solidité, ma réalité vécue dans les dernières semaines, dans les derniers mois. D’une canne de peinture verte, neutre comme l’espoir, je bidouille par-dessus les graffitis qui ornent mes murs : je change vers en univers, je tague mon nom comme un appel, je me retourne quelques instants trop tard après que tu t’es retourné. Je te manque. Mais l’avenir ne manque pas.