31 aout 2017

One must be careful not to wonder if these pleasures are superior to last year’s pleasures. They never are.

That must be the seduction of the past again. But just wait until now becomes then. You’ll see how happy we were.

(Susan Sontag)

 

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Dans le plaisir au présent s’immisce toujours quelques grains, du sucre qui se lève en nuages quand je brasse la smreka au lieu de la laisser au repos. Oui, du sucre : ils apportent du réconfort, ces éclairs de passé et de futur qui se baladent dans une boisson amère; même lorsqu’ils sont inquiets, en colère ou en panique, j’en connais le gout, ma langue recherche leurs aspérités, séduite.

C’est ainsi que le flow, le flot de la smreka emporte trop vite ce qui est, (déjà) ce qui a été le présent. Et que je n’ai plus rien à quoi m’accrocher devant le vide du moment, sauf le cadre tout autour. C’est ce même cadre qui délimite mes photos et fait de ma vie une série de clichés interchangeables… qui montrent à quel point j’étais heureuse.

30 aout 2017

reste nuit
nuit, reste
je pars

(renée gagnon, des fois que je tombe)

 

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J’ai laissé une part de ma noirceur dans le lit en me levant. Un morceau tout petit mais sensible, un mou de bout de doigt à l’ombre d’un ongle. J’ai effleuré ma cicatrice avec et j’ai vu les flammèches, l’extrémité d’une peur marine contre une faille de vie, ça éclabousse c’est certain.

Nuit, reste : je pars. J’étire un point de douleur, un point d’abandon sur mon diaphragme, je respire. J’épure mes prochaines nuits en pensant à toutes celles où les couvertures m’ont pesé au lieu de m’enlacer. Et aux bras du matin, du premier matin, qui m’ont donné l’impulsion. De partir, de rester, de vivre.

29 aout 2017

Les avions sont-ils faits pour rentrer ou s’en aller?

(Mélodie Vachon Boucher)

 

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On me demande souvent dans quelle ville j’habite. Je dis alors que je ne vis nulle part, pour ne pas dire à plusieurs endroits. Je vis dans le cliché de mes réponses, dans un bâtiment aux ornements en chute libre, aux fleurs couleur émotions, aux colocations spontanées – je vis aussi dans le déni, parfois, autant que dans le moment, qu’il soit grand ou petit.

Et dans les avions, ces zones internationales volantes, je peux être celle que je veux, ne pas toucher terre parce que je rentre ou parce que je m’en vais. Si je pose les mains sur ma ceinture de sécurité, je me rappelle que ce bâtiment au délabrement soigné se trouve juste sous mes paumes. C’est là que je vis.

 

28 aout 2017

Le présent n’est pas un passé en puissance, il est le moment du choix et de l’action.

(Simone de Beauvoir)

 

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Hier, j’ai vécu une longue insomnie. De décalage horaire, oui : vu que j’ai pris six heures d’un coup, ma tête cherchait à suivre mon corps dans le futur. Comme si elle n’en avait pas assez à dealer avec le présent, cette nuit striée de lumière, cette berceuse sur disque au cœur de la ville. J’ai joué tous les rôles dans plusieurs dialogues puis, après quelques heures, épuisée, j’ai finalement sombré dans les bras de la confiance.

Je l’avais pourtant déjà, la confiance… mais il fallait que j’en fasse le tour, que j’en répertorie toutes les ombres avant de pouvoir m’y livrer. Parce que je n’avais pas encore compris qu’un des choix que je peux faire dans le présent, c’est celui de l’inaction.

 

27 aout 2017

ne touchons pas au silence
il est notre réserve d’espoir

(Nicole Brossard)

 

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Briser le silence du matin par une pensée – mais laquelle? Il me semble qu’aucune n’a l’élégance des jeux du chaton, la portée des ailes du pigeon, la résonance des cloches du dimanche. Il me semble qu’il n’y a rien à dire tant ma vie est juste en ce moment, que je suis assise confortablement dans la lenteur des entre-deux, que le ciel produit un écho amoureux.

Je ne sais pas où mes pas et ceux des autres me mèneront, mais je garde espoir. Puisqu’il y a assez de silence : autour, en moi.

26 aout 2017

[…] migration is the genuine human condition, in this world.

(Dževad Karahasan)

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Bouger quand mes jambes en ressentent le besoin, quand mon cœur appelle – d’un appel à la prière de 13 h qui fait ouvrir les yeux doucement dans le sommeil, dans le sourire. Me déposer quand il le faut, confinée dans un avion ou étendue sur le lit pendant quatorze heures. En marche, assise ou couchée, je suis avant tout ici pour écouter ces pensées qui me traversent, de bas en haut ou de haut en bas sur l’échelle du corps.

Dans le luxe des vacances, loin de la rentrée, alors même que la première marche de mon échelle s’est estompée dans les nuages, je prends conscience de ce que je suis venue faire : trouver ma liberté pour voir si j’y suis.

25 aout 2017

boumboum     cœurquibat     boumboum     cœurquibat

(Marc André Brouillette, « voguent à l’âme », Estuaire)

 

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Faire semblant de dormir en avion, puis crasher sur le divan d’un confrère comme si on le connaissait depuis toujours, des explications de ghazals en rubans qui épousent les contours de son crâne, trois heures de paysages linguistiques, de brume peinte sur les montagnes, de chat qui feule dans mes mains, un cœur dont le bouton reset était encastré, une douche prise dans la tête de Darth Vader, une Pokéballe champagne deluxe entre les dents fatiguées…

Boum. Boum. Boumboum. Le cœur remonte sur sa terrasse : l’escalier est à pic mais les pieds ont besoin de battre l’air, de marcher la ville de haut, le temps que les rêves se réordonnent.

 

24 aout 2017

[…] each time I steal
toward rites I do not know, waiting for the lost
ingredient, as if salt or money or even lust
would keep us calm and prove us whole at last.

(Anne Sexton)

 

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Quand ma journée démarre sur les chapeaux de roues, elle commence aussi avec une frustration : je n’ai pas eu le temps de faire mes rituels. Cette simple pensée oblitèrera d’une ombre la suite de la journée. Comme si l’énergie du sourire et la légèreté ne pouvaient venir que du déjeuner, du blogue et du thé. Dans cet ordre.

S’agit-il d’aller vers des rites que je ne connais pas ? Ou plutôt d’abandonner la chasse à l’ingrédient perdu et de perdre mes ingrédients comme une poignée de certitudes ? Dans mon sillon, que des doigts en signe de paix, de victoire, ouverts aux rites qui me trouveront de l’autre côté de l’océan. Et que je connais déjà.

23 aout 2017

It is your responsibility to bloom. Again & again & again…

(Jennifer Rose)

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Ma responsabilité ne s’arrête pas. C’est ce que j’ai compris récemment, encore tout aveuglée par les sons et lumières de l’adolescence : il n’y aura pas de fin au devoir de dire, de dire vrai, puisque le vrai et le faux continueront de s’emboiter et de s’accumuler comme dans un Tetris.

Face à ce qui est trop carré, à ce qui a trop d’angles morts, creuser ma vérité en diagonale, une diagonale de hautparleur. Une diagonale lisse, au bout recourbé du pétale d’une fleur. Mais peu importe si on perçoit leur forme en entier ou seulement en partie, mes mots projetteront le bon parfum s’ils viennent de mon pistil, de mon pilier. Je me vaporise d’eau de Cologne au matin, encore & encore & encore

22 aout 2017

C’est là, dans l’étreinte de la forêt vierge, qu’il souhaitait vivre à jamais. Il avait atteint l’endroit où toute sa réalité encore non vécue l’attendait.

« Ça ne me fait pas peur »

(Hella S. Haasse, Les seigneurs du thé)

 

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Toute mon épaule gauche a peur. Elle se retient à un poteau de téléphone, ne voyant pas que dans l’étreinte de la forêt vierge, il y aura des troncs auxquels s’agripper, sur lesquels même se propulser pour avancer plus vite lorsqu’elle en aura envie. Mais aussi, surtout, pour se ralentir et prendre le temps de jouer, de tisser un jeu de ficelle qui lui servira de hamac, d’abribus, de bibliothèque.

Toute mon épaule gauche, c’est l’étui de mon cœur. Et s’il bat, ce cœur, c’est pour attraper toute sa réalité encore non vécue, et l’enserrer d’un lasso. Mais il n’y arrivera pas s’il souhaite vivre à jamais. Il restera plutôt, dans une épaule dans une forêt, une image qui reviendra même si les années passent.

 

(Extrait sur la photo d’un poème de Claudia Hernandez de Valle-Arizpe paru dans Exit no 83, trad. Ana Cristina Zuniga.)