31 octobre 2017

The prospects are for more of the same. As always. But I refuse.

(Susan Sontag)
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Les iles du Bic se sont à peine effritées depuis ma naissance. Elles n’ont laissé tomber que quelques cailloux en catimini, sans ricocher; ni vu ni connu, comme les fondus arc-en-ciel derrière une masse de nuages.

Mais je refuse leur secret, et je choisis mon regard : celui d’un appareil photo étirant, de lunettes constellées. Dès que je vois que l’histoire se répète, je gratte la roche; sur la surface de l’eau résonne une gamme d’étoiles, plouc, plouc. Imaginez dessous.

30 octobre 2017

you’ve touched me
without even
touching me

(rupi kaur, Milk & Honey)

 

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Je ne touche qu’à ce qui brule. Oui, je suis une théière échaudée avant l’amour, une chatte trempée par la douche dont elle contrôle la température : chaude, toujours plus vive. Mais quand je reviens de Turquie et que la noirceur me rappelle chez moi plus tôt, que les rivières et fleuves font trembler le coin de mes yeux, je sais que la froideur a aussi à m’apprendre.

Il me touche  / sans même / me toucher : le courant gèle les gouttes de thé que j’y jette, en fait des poids pour lance-pierres… qui descendent au fond de l’eau – mes bras las – ou qui flottent jusqu’à la mer – mon menton en l’air.

29 octobre 2017

[…] In those circles

in which all heaven breaks loose,
touched by who she is, by what

she wills; in the envisioned heart
inmost issues take the form

of a credo. […]

(Lawrence Joseph, “What More Is There To Say?”, in Freeman’s on Home)

 

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Récupérer pour moi-même ces moments où ce que je suis, ce qu’il était touchaient de la joue le paradis, le libéraient… Il n’y a que moi, désormais, qui puisse faire des éclisses à partir des esquilles, qui puisse poser ou déposer en cuillère des masques qui ne se voyaient plus. J’envisage mon cœur sous forme de cercles : le cycle des renaissances qui se produisent quand j’infuse parfaitement mon thé suivies de morts en micro-chutes libres lorsque dans le fond de ma tasse se déroule sa langue, bien vivante.

Il ne me manque qu’un credo pour tenir ces cercles ensemble. Une chaine des problèmes les plus intimes, comme un serpent qui se mord la queue : le paradis niche là, au plus profond du cœur.

 

 

28 octobre 2017

Tout pays où je ne m’ennuie pas est un pays qui ne m’apprend rien.

(Albert Camus, L’Envers et l’Endroit)

 

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Je me suis prévu plusieurs plages d’ennui en fin de semaine. Je le connais bien, il m’a bien accompagnée l’an dernier durant ma convalescence; j’ai envie de le revoir, ne serait-ce que pour qu’il me pousse, à travers le cœur, à faire ce que j’ai à faire mais dans le désordre des pulsions. Je veux me laisser couler bien creux dans les coussins pour rebondir jusque sur la pointe de la vague hors terre, turkuaz, jusqu’au centre de son flot.

Et quand viendra l’heure de vider la piscine pour l’hiver, je penserai à cet ennui qui s’en va stagner ailleurs, dans la pelouse, et m’apprendre ses cristaux.

27 octobre 2017

Imam sve što poželim

(Dino Merlin, «Moj je život Švicarska»)

 

J’ai tout ce que je veux

(traduction maison)

 

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Je me lève avec une impression forcée d’abondance, la langue chargée de poussière de thé. Comment cohabiter avec ce vide au creux de mon estomac qui me coupe le souffle? En le remplissant de pain d’épices et de cannelle, oui, mais en sachant aussi que ce n’est pas tant la liqueur en elle-même que la promesse de la liqueur, de sa douceur et de sa chaleur, qui comble l’espace trop long entre mes respirs.

C’est toujours pareil, chaque matin la routine : j’ai tout ce que je veux devant moi, la paix en deux dimensions, et mes mains qui se tiennent juste assez loin.

 

26 octobre 2017

J’ai trouvé la femme en moi qui connait toutes les réponses.

(Mélodie Vachon Boucher)

 

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La femme en moi sait lever les yeux au ciel. Elle sait dire si le vent qui fait bruire les feuilles l’écrase ou l’élève, elle sait dire si l’averse la détrempe ou la ramène à la mer. Cette femme squelette de branches, en moi mais aussi entre moi et les autres, tisse une danse de vie et de mort entre ce que je dis et ce que je fais, entre ce que je sens et ce que je ressens, entre ce que mon œil gauche et mon œil droit perçoivent.

Seule avec elle dans cette grande maison isolée d’un rideau de pluie, je trouve dans le gyokuro en moi toutes les réponses, tous les cours d’eau.

25 octobre 2017

Défense d’afficher. […] And yet there she is. Elle s’affiche. She shows herself. She shows up against the city.

(Lauren Elkin, Flâneuse: Women Walk the City in Paris, New York, Tokyo, Venice and London)

 

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Aujourd’hui est un entre-deux, entre-trois-villes. Il y aura une ville pour chacun de mes trois états : en marche, assise, étendue. Je serai autant visible que le long signe de victoire que laisse le canard (patka, ördek, coin coin) sur la surface du lac, qu’une défense d’éléphant hackée sur les murs des bibliothèques parisiennes ou québécoises; je serai aussi audible que le cri de la mouette ou de l’outarde dans la mauvaise ville.

Même de l’intérieur d’une voiture, je m’affiche. Il n’y a plus de cachette-habitacle, et celleux qui embarquent n’ont qu’à suivre le tournoiement des feuilles mortes et des gouttes de pluie… en marche, assis.es ou étendu.e.s.

24 octobre 2017

On dit toujours qu’il faut être enraciné quelque part, je suis convaincue que les seuls êtres qui aient des racines, les arbres, préféreraient ne pas en avoir. Ils pourraient alors prendre l’avion, eux aussi.

(Barbara Cassin, Nostalgie)

 

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Le petit vent d’avant la pluie passe, les branches des arbres se secouent dans un bruit de maracas, elles toutes contentes de laisser quelques feuilles voler de leurs propres… ailes, et aller s’enraciner ailleurs, de l’autre côté d’une frontière invisible de haut : limite du terrain entre deux pelouses sur lesquelles on n’aère pas la terre de la même façon.

Parce qu’il y a la gravité, on finit tou.te.s par s’enraciner, parfois seulement d’un côté, parfois seulement du bout des doigts. Et on continue, et je continue, à marcher en rond autour de ma petite terre, boitant un peu mais la tête haute, pour voir les couleurs qui couronnent mon ciel.

23 octobre 2017

Permets-toi de sentir. Sois infidèle. Pourquoi pas ? Personne ne t’en voudrait de tromper le malheur.

(Yara El-Ghadban)

 

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Je croyais que j’aurais plus besoin de te ramasser que ça. Chaque peine est un belvédère auquel je m’accroche, une colline à deux versants : un descendant, un montant. Chaque peine est un lac dans lequel je mire ma droiture d’arbre, mon entourage de forêt. Chaque peine est une plongée dans une tasse où se profile déjà un poisson.

Je me ramasse, je me ramasse, en petite boule ou en grand-déplié, je trompe le malheur avec une tasse de thé. Je me permets de sentir tous les morceaux de moi, oui, les solides qui dégringolent des montagnes et les liquides qui déboulent dans ma gorge.

22 octobre 2017

I myself was a mixed metaphor, the wanderer who wanted to be a settler.

(Lauren Elkin, Flâneuse: Women Walk the City in Paris, New York, Tokyo, Venice and London)

 

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À certains points dans ma vie comme celui-ci, penser plus loin a été, est une abstraction. De chaque élément peut en découler un autre, et un infime accroc dans le tapis ou le tatami peut ouvrir tout un monde dessous – la gueule béante des moments, des rencontres.

Mais la flâneuse a-t-elle nécessairement besoin d’être en mouvement? Les interdictions de flâner me rappellent que non : la flâneuse est aussi quelqu’une qui s’installe. Qui crie sa vérité à l’encre, et qui prend le temps de réarranger les fleurs pour les nez qui passeront après elle.