[…] il avait fallu qu’elle apprenne une autre langue pour connaître la sienne, aussi se demandait-elle si cet autre cœur lui permettrait de se connaître encore : je te fais de la place, mon cœur, je crée de l’espace pour toi.
(Maylis de Kerangal, Réparer les vivants)
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Elle apprend encore (hala n’est pas comme tekrar, still pas comme again) une autre langue, elle la fait sienne même si lui n’est plus là pour la lui enseigner; elle n’a qu’à prendre un cliché du rythme de son propre cœur. Quelque part dans ce vent à 75 mots à la minute, à 25 goélands à la seconde, quelque part dans ce tournis elle voit surgir une forme aux contours arrondis, aux yeux de biche douce, fleurant le jasmin rouge : elle, dans toute sa splendeur de femme ouverte au froid, elle, tout court et tout droit.
Je crée de l’espace pour toi, fait le murmure de son cœur, et son cœur se fait – approchant, de moins en moins murmure, de plus en plus à portée.