les tirages passés

25 mai 2018

I think the prime reason for existence, for living in this world is discovery.

 

(James Dean)

 

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Pendant le cours de bhangra, ouvrir la fenêtre pour inspirer et découvrir que la douleur s’en est échappée pour aller se rouler sur un toit. Les éclairages feutrés projettent des lynx gémissants sur les pauvres petits corps des chats juchés haut; pourtant la peur reste extérieure à mon corps dansant, elle demeure un personnage essentiel à la nuit, un parmi d’autres.

Et le matin quand je me sens extérieure à moi-même, perchée sur une épaule comme sur un navire de carton, je me rappelle que la découverte, c’est aussi celle de ce que j’arrive à faire avec le sourire. C’est aussi la coupe de quelques mèches de ma frange afin de mieux encadrer l’avenir.

24 mai 2018

It was falling in the dream
It was falling actually
It was the sakura night

(Shinsaku Hanada)

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Tomber n’est pas forcément négatif; ainsi tombe-t-on sur le voisin qui résoud notre problème d’électricité, sur le mec qui nous invite à la plage, même sale, ou sur la chanson qui nous répète que tu es Istanbul peu importe la valeur du dollar ou la solitude de la yalnız Kız Kulesi, la tour de la Jeune fille seule.

Le plus merveilleux, c’est de tomber sur ce qui tient, qu’il s’agisse d’un dos réparé par le sable, de bras qui tiennent ouverts pendant tout une séance de bhangra ou d’une mosaïque aux couleurs défiant les yeux comme le temps. Le plus merveilleux, le plus apaisant, ça reste de laisser tomber.

23 mai 2018

Korkuyoruz.
Düşünmekten ve sevmekten korkuyoruz. İnsan olmaktan korkuyoruz.

(Oğuz Atay)

Nous avons peur.
Nous avons peur de penser et d’aimer. Nous avons peur d’être humains.

(traduction libre)

 

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La peur / d’aimer, comme si on allait se moquer de moi à cause de ce que j’aime. Cette peur est abandon, l’abandon de ce qui me ravit au profit de ce.lleux qui ne me plaisent pas de toute façon; comme tout le monde avoir au ventre la peur de l’abandon et pourtant m’abandonner moi-même continuellement dans les petites choses, et si au moins c’était conscient…

Comment perdre la peur d’être humain.e.s? Je ne vois qu’une manière : en me perdant dans ce qui est plus grand que moi, une grande ile ou un bateau pour cent. Effacer la peur par la mère de toutes les peurs, effacer la peur par l’absurde et sentir que la vie est là.

22 mai 2018

Dans la vie on ne fait pas ce que l’on veut mais on est responsable de ce que l’on est.

(Jean-Paul Sartre)

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La responsabilité est un mot qui me fait souvent fuir faire ce que je veux. Parce que je crois qu’il est souvent possible de le faire, ou à tout le moins qu’il est possible d’imbriquer l’un dans l’autre, de faire coïncider le coeur et les pieds. Ainsi lorsque j’ai le réflexe (bien fort) d’appréhender le devoir, je me rappelle généralement le plaisir que j’ai normalement à le faire ou à l’avoir fait… et, inversement, l’ennui que j’éprouve parfois à faire ce que je veux.

Alors j’aperçois une paire de pantoufles et je vois que les pays finissent par avoir une place différente que celle que je voulais leur attribuer. Et je comprends que si mes désirs changent constamment, faire ce que je veux n’est qu’une illusion coincée entre deux espaces.

21 mai 2018

And when I thought,
« Our love might end »
the sun
went right on shining

(James Schuyler, Daylight)

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Ce qui a à briller reviendra toujours briller tant que sa belle flamme dorée, presque caramélisée, restera au coeur de la tasse. Les cartes disent que je suis dans l’aura de l’amour; je crois plutôt être dans celle de la céramique et de son frais parfum de yasemin, mais c’est peut-être du pareil au même.

En fait souvent je ne sais pas où je suis à part dans les detay : ma peau rougie badigeonnée de yogourt ou mes sandales coupantes. Coincée entre le verre du metrobüs et des nuques en mouvement, j’arrive néanmoins à voir quelque chose venir, estampé sur l’une d’elles – 来 -, et j’y ajoute le futur en retirant mes mains : 未。

Continuer d’avancer, les pieds bien plantés à trente centimètres du sol.

20 mai 2018

No one can build you the bridge on which you, and only you, must cross the river of life.

(Friedrich Nietzsche)

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Il n’y a pas de pont vers les iles, adalar; pourtant, on peut traverser. Et si je choisissais de ne pas bâtir de pont mais de construire un bateau à la place? De choisir mes villes entourées d’eau, de monter plus haut pour mieux voir le chemin parcouru et à parcourir (vers une phrase, vers / quelque part / et ton coeur?

Ainsi je m’aperçois que les deux sentiers se croisent souvent ou montrent les mêmes paysages; que les gens reviennent me cueillir autant que je les accueille; et qu’il n’y a pas plus de chose à ressentir que ce que j’ai déjà senti, que l’éventail est complet peu importe s’il est ouvert ou fermé. Je ferme les yeux, je te regarde, et je traverse la rue comme une rivière.

19 mai 2018

drinking tea alone —
everyday the butterfly
stops by

(Issa)

 

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Le papillon s’arrête / chaque jour pour me montrer sa forme différente. Hier soir, il a pris les traits d’une fleur flottante sur un coquetel rose créé sur mesure, d’un bienvenue, hoş geldin lancé à la volée, d’une cloche annonçant la venue des cartes rose et beige tendres dans ma vie.

Aujourd’hui je boirai mon thé seule, sans sucre, en essayant de n’espérer rien d’autre qu’un thé. En comprenant que je n’ai rien à espérer tant que je sais. Que les réponses sont dans les livres… ceux qui murissent lentement à l’intérieur de moi.

 

18 mai 2018

Au fond, « Qu’est-ce qui est arrivé après? » – voilà la seule raison d’être de la vie ou d’une histoire.

(Jack Kerouac, Les anges vagabonds)

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Chaque fois que je fais un choix basé sur l’intuition (ou sur l’habitude, parfois ce n’est pas si simple à discerner), je pense d’abord à ce qui s’ensuivra. À quoi sert l’intuition sinon à découvrir la suite… de l’intuition, etc.?

Au fond, c’est une dépendance aux signes que j’ai, un sentiment d’insuffisance – l’impression qu’il faut sans cesse ajouter des feuilles de thé en cours d’infusion, que sinon le dem sera fin et filant, comme une vie mince et fuyante. J’aime avant tout la sürpriz, et elle me le rend bien. Cependant, ce que j’oublie trop vite, c’est que je peux à la fois être surprise et surprenante.

17 mai 2018

Tu seras alors sur la scène de ta propre vie, tu verras les visages que tu as prêtés à l’amour

 

(Hélène Dorion)

 

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Depuis que j’ai ralenti, les rideaux de la scène de ma propre vie se sont ouverts. Je suis encore aveuglée par les projecteurs et j’ai chaud, mais j’ai confiance que je vais réapprendre à danser en fixant le devant du balcon, comme si je dansais pour… personne. Pour l’instant je cherche encore des visages à travers la foule, inconsciente de mon corps et de ce qu’il projette quand je me penche pour scruter, oublieuse de ma tâche : faire ce que j’ai à faire, simplement.

Pour l’instant je savoure les visages que j’ai prêtés à l’amour, mais eux se dérobent, se voilent d’une main. L’important, ce n’est pas tant leurs traits que l’atmosphère qui se dégage d’eux… jusqu’à créer la plus belle des vues, derrière.

16 mai 2018

In pale moonlight
the wisteria’s scent
comes from far away.

 

(Buson)

 

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Le parfum de la douleur vient de loin et me ramène doucement dans le repos. Je suis des yeux un couple de malards pendant une heure, sans me rendre compte avant de prendre la photo que j’ai peint mes ongles couleur Bosphore. En ce Ramadan qui commence, je peux moi aussi me trouver quelque chose à ne pas faire. Pour moi ce ne sera ni la boisson ni la fumée que j’arrêterai, mais la course d’un endroit à l’autre, avec la tension accordéon reliant le lobe frontal aux tibias.

De tous ces hommes au dos brisé que je rencontre, j’apprends le relâcher-prise, je désapprends la vitesse. J’apprends que la mer va et vient et que les canards tournent en rond, mais que je le sentirai seulement si je ne bouge pas d’une miette.