17 mai 2018

Tu seras alors sur la scène de ta propre vie, tu verras les visages que tu as prêtés à l’amour

 

(Hélène Dorion)

 

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Depuis que j’ai ralenti, les rideaux de la scène de ma propre vie se sont ouverts. Je suis encore aveuglée par les projecteurs et j’ai chaud, mais j’ai confiance que je vais réapprendre à danser en fixant le devant du balcon, comme si je dansais pour… personne. Pour l’instant je cherche encore des visages à travers la foule, inconsciente de mon corps et de ce qu’il projette quand je me penche pour scruter, oublieuse de ma tâche : faire ce que j’ai à faire, simplement.

Pour l’instant je savoure les visages que j’ai prêtés à l’amour, mais eux se dérobent, se voilent d’une main. L’important, ce n’est pas tant leurs traits que l’atmosphère qui se dégage d’eux… jusqu’à créer la plus belle des vues, derrière.

3 avril 2018

Tu aimes les hautes falaises
le souffle des étoiles et de la passion
tout risquer plutôt que rien.

 

(Hélène Dorion, Comme résonne la vie)

 

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C’est quand j’ai ce sentiment de haute falaise à l’intérieur de moi que je dois tout risquer : une cheville raide, voire un seul cheveu cassé hors de mon repaire d’écriture, une vie à mener d’abord si je veux l’écrire – même si c’est celle d’autres femmes. J’ai une vie à vivre dans ces paysages d’après le sommeil, enfin, une vie à continuer de réparer avec l’imagination des choses trouvées sur la route, le souffle coupé des étoiles et de la poussière.

J’ouvre toute grande la fenêtre au-dessus de mon lit et laisse entrer la passion de la rue, en suspens(ion) comme dans ma tasse de thé tsuki no yoru, soir de lune. Pourtant il fait aussi soleil qu’une page jaunie. Que mon visage jaunisse aussi, se parchemine; que l’histoire se tatoue sur nos joues.

 

23 mars 2018

On désire quelque chose d’éternel

et ce désir même

ne dure pas.

(Hélène Dorion, Comme résonne la vie)

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On désire quelque chose comme une figue fraiche comme une bouche partagée comme une goutte de lait trop grande pour nous. On désire dévorer tout ce que la vie dépose sur notre plan de travail étincelant, ou encore dans nos mains poisseuses de bal-kaymak badigeonné sur les poteaux d’otobüs. On désire mettre la langue à la pâte, éternellement.

La bouche pleine, je comprends pourquoi je désire tant : c’est parce que j’ai toujours reçu plus que ce que j’avais demandé. C’est parce que je ne vois pas pourquoi cela devrait changer. Et si je veux des sürpriz qui durent en se chevauchant l’une l’autre, je dois continuer d’être ce feu d’artifices d’explosions d’envies.

* Photo d’une des boites (portant sur le baiser) du Musée de l’innocence (Masumiyet Müzesi) d’Orhan Pamuk.

17 février 2018

[…] les ravins

qui ont tout à m’apprendre.

(Hélène Dorion, Comme résonne la vie)

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Au bout de mes bottes, le vide. Une collection d’espace(s) en forme de spirale – et si la spirale, c’était une forme particulière de vide au lieu d’être une ligne? Ce serait rassurant : j’aurais ainsi moins l’impression de devoir suivre une trajectoire préétablie que celle de pouvoir caser tout ce que je veux pour combler les trous. Et je veux colorier ma vie, pas seulement la décalquer.

Parce que mes ravins / ont tout à m’apprendre : ce n’est pas parce que je tombe que je choisis d’être prudente. Parfois, la chute me permet de comprendre que je veux recommencer. Sağlığınıza!

2 novembre 2017

au fond du puits
le silence voyage encore.

(Hélène Dorion, Mondes fragiles, choses frêles)

 

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Le silence voyage avec moi le long du fleuve. J’en ai une pleine théière au ventre, de ses clapotis chauds et sucrés contre mes parois, de ses roses qui veulent éclore dans une pétarade de bruissements. Je suis un puits qui voyage : je suis femme de peu et de tout à la fois, femme-puits qui traine au fond d’elle un marc de thé chinois avec toute la bonne aventure qu’il contient.

Le silence, je le trouve parfois après avoir parlé. Après avoir nommé un feu de bengale que j’ai au cœur ou un désir de rougir dans l’eau du bain. Après avoir laissé mes doigts dire : C’est cette céramique que je veux toucher, ce rose tendre chocolat.