6 décembre 2017

Dans les yeux s’allume une ville,
qu’on n’a jamais pris la peine de visiter.

(Louise Dupré)

 

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Est-ce que je visite jamais réellement, ou est-ce plutôt que je vis (de voir, de vivre) cette ville? Dans mes yeux s’allument les feux de circulation, les stations de tramvay, le jaune de l’œuf du sandviç que je mange en marchant sur la rambarde entre les voies – de cette ville je vois les toits des voitures, j’observe ma vie qui se démultiplie à chaque pas ou à chaque coup de volant.

Je ne prends pas la peine comme je ne prends pas le temps. Il y a une carte du pays accrochée au-dessus de ma tête, mais c’est en dedans de ma tête que se démène la circulation. Ça jamme souvent, et alors je reste, bien assise dans ma fatigue.

9 septembre 2017

[…] et tu t’exerces maintenant à penser non pour rapiécer ton cœur, tu penses non, tu cries non.

(Louise Dupré)

 

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Je m’exerce maintenant à dire non avec équilibre : lorsque je ferme la porte d’en arrière, je ferme aussi celle d’en avant, question de garder mon air. Si j’ouvre une porte, c’est pareil – je peux très bien crier non dans l’ouverture, dans les ouvertures, faire vibrer l’air qui tient debout les chambranles, tout ce qui chambranle.

Ainsi dis-je non à tous mes excès, de peur comme de confiance, de lenteur comme de fébrilité, de passé comme d’avenir. Je crie non à la panique qui s’empare de moi quand je deviens d’une seule couleur, d’une seule émotion; et l’écho de mon cri, qui entre par la cour arrière, est un non au déni.

 

19 aout 2017

[…] et tu t’exerces maintenant à penser non pour rapiécer ton cœur, tu penses non, tu cries non.

(Louise Dupré)

 

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Depuis ma dernière chirurgie cardiaque, j’apprends à me dire non. À dire non à l’enfant à l’intérieur de moi qui crie ses peurs irraisonnées jusqu’à en faire vibrer mes côtes, mes épaules, mon bas-ventre. À dire non aux autres, oui (!), mais surtout à moi quand j’entre de plain-pied dans une répétition du passé.

Non, le passé ne convient plus à mon cœur rapiécé. Il se tient droit, je bats droit en ouvrant les bras aux éléments mais en n’ouvrant mes jambes qu’au sol digne. Je prends la lumière pour modèle, celle qui dit non à vingt-trois heures chaque soir, pour que l’enfant puisse enfin être bercé par le sommeil.

7 aout 2017

[…] et tu t’exerces maintenant à penser non pour rapiécer ton cœur, tu penses non, tu cries non.

(Louise Dupré)

 

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Rapiécer mon cœur. Il s’agit là de l’histoire d’une vie : recoudre les petits bouts quand les fils s’effilochent à force de trop le porter, de la même façon que je me refais des réserves de fer après que mon corps a laissé aller les fibres dont il ne voulait pas.

Quand je ne sais pas à quoi dire non, je m’arrête quelques instants pour sentir les mouvements de l’eau. Je sais alors : dire oui à la main à côté de moi, dire oui au soleil; dire non à ce qui veut me faire croire que le temps presse. Dire oui aux vertiges qui bercent; dire non à ceux qui font tomber. Et le rapiéçage se fait, une syllabe à la fois, une goutte de Bosphore à la fois, mais aussi un bleu à la fois, parfois.

 

1er juillet

[…] et tu t’exerces maintenant à penser non pour rapiécer ton cœur, tu penses non, tu cries non.

(Louise Dupré)

 

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C’est pourtant un matin de oui, un de ces réveils où le corps se déroule par vagues, dans une fraicheur d’esprit qui vient après la bénéfique averse.

Mais comme la longue coupure sur mon thorax vient avec ses microadhérences – couper puis coller -, oui et non se produisent presque simultanément, ou plutôt l’un tout de suite après l’autre, lequel est perçu comme une agression.

Dire oui violente le corps et tous ses fonctionnements figés. Le corps crée son équilibre. Croyons-le, crions-le, maintenant.