Dans cette seule et unique courbe, inquiète et dentelée, avec de rares douces sinuosités, complètement neurasthénique et brisée à sa fin, on lit la ligne de vie de mon père, son pas chancelant et sa chute, son râle : cardiogramme frénétique, écriture de son cœur.
(Danilo Kiš, « Pages d’un album de velours », Chagrins précoces pour les enfants et pour les raffinés)
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J’ai toujours aimé le chocolat. Et depuis l’âge adulte, je suis adepte de thé et de vin, d’autres substances qui attisent les cellules excitables de mon cœur. J’aime être bercée par la douce fébrilité qui permet une pensée à la fois inquiète et émerveillée, une écriture dentelée mais juste, un pas chancelant mais qui permet d’avancer.
À l’image du gâteau au chocolat, ce qui est brisé est aussi ouvert. Ce qui est brisé laisse voir ses douces sinuosités, le velours de sa peau, sa ligne de vie même. Ce qui est brisé peut être réparé : par l’écriture, par le sens du gout, par une, deux, quatre mains. Mon cœur d’adolescente ne savait pas qu’il y aurait un râle, oui, mais qu’il n’y aurait pas de chute.